38  Mémoire d'un garde forestier

                       Nous sommes dans les années 1853-1858. Jean Charles Brocard, originaire des Ardennes où il est né en 1800 (commune de Tagnon) habite à Viménil où il vit avec sa famille, son épouse Marie Mentrel et leur quatre enfants. Il est garde forestier et exerce son activité sur les trois communes de Viménil, Gugnécourt et surtout Grandvillers dont le domaine forestier (canton des hauts bois) est à l'époque cinq fois supérieur à celui des deux autres villages. Je me suis intéressé à cet homme car il s'agit du forestier qui aurait relaté au soir de sa vie la survenue d' apparitions régulières de la Sainte Vierge au lieu dit aujourd'hui chêne de la Vierge (voir chronique n° 8). J'ai ainsi rencontré François Brocard arrère-arrière petit fils de Jean Charles qui a eu la chance de retrouver dans le grenier de la maison familiale le livret relatant l'activité de garde de son trisaïeul. C'est ce carnet qui sert de support à mon article, les transcriptions de ses parcours en forêt et surtout la rédaction des multiples contraventions dressées pour des infractions qui semblent aujourd'hui très mineures, m'ont paru digne d'intérêt et témoignant d'un autre temps....

Le livret retrouvé contient une soixantaine de procès verbaux entre mai 1853 et octobre 1858 et il existe sans doute d'autres livrets rendus vraisemblablement à l'inspection de Rambervillers dont faisait partie notre secteur.

Voici quelques extraits transcrits par mes soins (Jean Charles avait heureusement une assez belle écriture) Je reproduis d'abord et intégralement le PV n°193, ils sont tous écrit sur le même modèle et avec la même phraséologie (les fautes d'orthographe sont sur le document d'origine) ...

L'an mil huit cents cinquante trois le onze du mois de novembre , nous soussigné Jean Charles Brocard garde forestier à la résidence de Vimenil assermenté et décoré aux marques distinctives de nos fonctions sertifions que faisant notre tournée vers une heure du soir dans la forêt de Grandvillers appartenant à Grandvillers au canton appelé les hauts bois sis au territoire de la commune de Grandvillers et dont le bois est agé de quatre ans Nous avons trouvé le nommé Renard Bartelemy agé de vingt huit ans né à Grandvillers manoeuvre résidant à Grandvillers qui venait de couper avec un fer couteau des brins et des branches de boulaux vert et vif pour faire des balais pour en faire sa charge à dos qu'il a emporté lui ayant demandé pourquoi il avait commis ces délits il ma répondu qu'il n'avait que cela pour vivre que je savais que la mandicité était défendue sur quoi j'ai déclaré au dénommé ci dessus le présent procès verbal qui est le deuxième rédigé contre lui par moi dans l'année 1853 fait dressé et clos à Vimenil le douze du mois de novembre mil huit cent cinquante trois Brocard

Affirmé par monsieur l'adjoint de Vimenil le douze du mois de novembre 1853 Brocard C.fays enregistré à Bruyères le

dans la marge est écrit insolvable

Il est très fréquent que le garde effectue ce qu'il appelle des visites domicilières. Il est alors accompagné d'un adjoint de la commune en général c'est à Grandvillers (95% des PV) et il pénètrent alors chez l'habitant suspect pour aller voir les tas de bois à côté des fourneaux ou des poeles et il constate alors que la circonférence, les veines du bois, l'écorce correspondent au bois illicitement coupé en forêt.

.... procédant à une visite domicilière nous avons entré chez la nommé Marie Augustine Durant fille agé de vingt sept ans née à Hoenhen pres de Strasbourg brodeuse résidant à Grandvillers nous avons trouvé dans son four à la cuizine un billon de pin... que j'ai reconnu tant par la circonférence et l'écorce et leurs vaines pour le même pin .... (PV 187 du 23-05-1853)

 

... nous avons suivi les traces imprimé dans la neige qui nous ont conduit au vilage de Grandvillers accompagnié du sieur Vitaure Nicolas membre du conseille de la dite commune pour apsance de mr le maire et de mr l'adjoint nous avons entré chez le nommé George Lot nicolas né à Grandvillers agé de trente quatre ans manoeuvre résidant à Grandvillers nous avons trouvé derrière son fournaux un tas de boi de pin sié est fendu en boi de fournaux nous avons aussi trouvé dans son jardin à vingt mètres de sa maison ... un billion de pin que nous reconnu le boi fendu ché lui et ce billion tant par l'écorce les vaines et sa siure pour provenir du pin d'autre part.... (PV 229 du 04-02-1857)

La plupart des PV dressé par Jean Charles Brocard concerne des coupes illicites de bois , souvent de simples branches de bouleaux, de pins ou de hêtres pour en faire des fagots, quelques petits troncs sciés dont le diamètre est toujours mesuré à un mètre du sol . Les outils utilisés (serpe ou hache, brouettes) sont alors confisqués, il faudra payer pour les récupérer.... Parfois apparaissent dans son livret des délits plus surprenants :

Ainsi Jean-Marie Fremiot cultivateur est verbalisé pour avoir transporté chez lui plusieurs voitures de pierres prélevé en forêt (PV 217 juin 1855)

En janvier 1854, les frères DIDIER sont surpris en train de braconner des gelinottes :

... arrivés à celui où était prise la gelinotte et au moment ou le sieur Didier Jean Dominique se baissait pour la prendre ils m'ont aperçus

tous deux, je me suis montré et leur ait déclaré le présent procès-verbal. Ils n'ont pas emporté la gelinotte et je l'ai remise au voeu de la loi à l' hospice de Bruyères.... (PV 200 1854)

 

La lecture et le décryptage de ce livret du garde a été passionnante et reflète bien le vécu de ce forestier à une époque où les difficultés sociales et la pauvreté étaient très présentes et poussaient les gens à utiliser souvent les ressources forestières pour leurs besoins quotidiens....

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

tenue garde forestier XIX° sècle

exposition la forêt patrimoniale Bruyères mars 2024

 

J. Strubhardt 23/03/2024  -   article paru dans BM n° 35  de janvier 2025

Remerciements à François et Irène Brocard pour le prêt du livret du garde

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