La sonrière de l'abbaye de Remiremont, seigneuresse et gouverneure de Grandvillers
Nous avons vu dans plusieurs chroniques passées qu'avant la révolution, le village et le ban de Grandvillers était géré par le Chapitre des chanoinesses de Remiremont. Dans la hiérarchie de ce prestigieux monastère qui comptait entre 150 et 250 religieuses, il y avait 5 dames à la tête de la communauté. En premierse trouvait l' Abesse qui était la principale et la chef spirituelle, élue par bulletin secret et confirmée par le pape, elle était l'autorité suprême et reconnue de l'abbaye. Puis venaient la Dame Doyenne (chargé de choisir les nouvelles chanoinesses) et la Dame Secrète (qui gérait la sachristie et l'église). Ensuite il y avait des dames officières dont l'aumonière et surtout la sonrière qui avait un rôle très important. A l'origine du monastère, la sonrière était chargée de pourvoir aux besoins naturels des religieuses. Elle receptionnait l'ensemble des redevances payées en nature et les gérait en fonction des besoins Elle avait un vrai pouvoir seigneurial sur un vaste domaine (une quinzaine de seigneuries et trois bans dont Grandvillers) mais en ce qui concerne les revenus (impôts, dimes et taxes) elle en assurait seulement la gestion et la redistribution aux membres de l'église...
Voilà ce que dit exactement un texte de 1683 contenant une évaluation et un dénombrement des biens du Chapitre de Remiremont :
Au ban de Grandvillers, la dame sonrière à cause d'office, est dame haute justicière, moyenne et basse et elle prend la moitié des tailles, amendes, mainmortes, épaves, confiscations et autres droits de haute, moyenne et basse justice, contre le souverain en ce qui est de la haute justice et contre les voués en ce qui concerne la moyenne et basse. Elle impose trois tailles l'année qu'elle réduit à sa volonté, savoir : au vaxerot, vayn et en mars; elle a le mandement des plaids, la plume et l'échaque, la création du maire et la reception de son serment. Celui qui est maire èz bans de Grandvillers et Dompierre, n'y ayant qu'un maire pour ces deux bans, doit le jour du nouvel an à ladite dame sonrière pour etrennes trois francs six gros; elle a aussi trois francs chacun an pour le rachat du plaid de mars. Il y a des menus cens dus par chacun an à l'église seule et sont assignés sur des héritages dits la tenue Chardon. Chacun conduit du ban lui doit chacun an à la Saint Martin une poule et sur chaque poule cinq oeufs que le maire doit rendre à Remiremont. Elle a six champs au finage de Grandvillers, au lieudit les champs de Madame, lesquels s'amodient (se loue). Elle a le quart dans les droits d'entrée et de bourgeoise des nouveaux habitants, les habitants et communauté y prenant la moitié. Ele a la moitié dans les mainmortes et poursuites qui sont sur tous les meubles délaissés par les sujets et natifs qui décèdent sans hoirs légitimes procréés de leurs corps. Elle a droit de prendre chacun an sur les terres dites des Souhaits audit ban trois resaux d'avoine. Le maire sortant d'office lui doit deux resaux d'avoine et le forestier de la forêt de Mortagne lui en doit autant.
En résumé, la sonrière était chargée de la tenue des plaids banaux*, nommait le maire du village, rendait la justice à ses trois niveaux* et surtout percevait de très nombreuses redevances et taxes (impôts, cens, taille, mainmorte, amendes) que récupéraient les officiers personnels de la sonrière, les grands et petits ministraux Il s'agissait donc de vrais droits seigneuriaux, attribués à cette dame et transmis à chaque nouvelle élection de la sonrière (scrutin à haute voix par les dames réunies en Chapitre puis prestation de serment) C'était un vai pouvoir féodal et ca duré depuis son origine (VII°siècle) jusqu'à la révolution. ..
Citons pour finir quelques chanoinesses sonrières qui ont pu être retrouvées dans divers ouvrages consacrés à l'abbaye de Remiremont : 1394 Jeanne de Choiseul, 1594 Catherine de Damas, 1661 Bernarde de Cléron, 1579 Madeleine d'Haraucourt, 1678 Catherine de Choiseul, 1785 Anne de Closen. Comme toutes les religieuses du Chapitre , elles étaient toutes issues de grandes familles de la noblesse régionale et étaient souvent apparentées aux plus hauts personnages des contrées de Lorraine, d'Alsace et de Bourgogne.
Sources:
-Les chanoinesses de Remiremont - Françoise BOQUILLON Ed. Société d'Histoire de Remiremont 2000
-Documents rares ou inédits de histoire des Vosges tome 9 (comité histoire vosgienne) page 153. Texte de 1683 Aveu et dénombrement des biens du Chapitre de Remiremont
*plaid banal = assemblée se réunissant une ou deux fois par an, avait lieu sur l'usoir du maire sortant. Y étaient abordées les affaires de justice (plaintes, procès,amendes), le règlement des droits seigneuriaux, ainsi que les élections des représentants de la communauté...
*haute, moyenne et basse justice = au moyen âge on distinguait trois niveaux de justice. La haute justice s'occupait des cas graves (crimes, agressions sévères) toutes les peines étaient possibles, y compris la peine de mort. La moyenne justice concerne plus les rixes, injures et vols. La basse justice traite des affaires relatives aux droits dus aux seigneurs (cens, rentes, contrats et héritages) et s'occupe aussi des délits et amendes de faible valeur.
Jacques Strubhardt 01-11-2020 article paru dans BM n° 33 de janvier 2023
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